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Le blog écolo : penser loin, agir vite
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4 avril 2006

Pourquoi une Charte de l'Environnement ?

nkm1La révolution tranquille de l'écologie, par Nathalie Kosciusko-Morizet, Députée de l'Essonne, Déléguée Générale à l'Environnement de l'UMP.

Les grandes réformes exercent un pouvoir d’attraction particulier. Elles peuvent buter à de multiples reprises contre des obstacles jugés infranchissables et soudain apparaître au grand jour dans toute leur évidence. La question écologique a cette force-là. Elle a cheminé à nos côtés, parfois effacée par d’autres priorités, parce que les esprits étaient préoccupés par d’autres défis. Comme l’a dit Jacques Chirac à Orléans, le 3 mai dernier, « la poursuite de la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, la mise en place de l’Europe, la décolonisation, l’angoisse de la guerre froide, l’interminable crise économique, la tragédie du chômage toujours croissant : l’écologie n’était pas notre premier souci. »

On connaît depuis fort longtemps cet affrontement de l’homme et de la biosphère : Platon, dans le Critias, pleure les temps reculés d’une Grèce couverte de forêts luxuriantes et cette Mésopotamie à la fertilité légendaire, abandonnée entre des mains qui la traitent avec dédain, couvrant son sol d’un sel meurtrier, et l’île de Pâques, étouffée par le genre humain, épuisée par un peuple trop nombreux.

Désormais, nous ne pouvons appeler à notre rescousse l’ignorance ni invoquer la prodigalité illimitée de la nature car nous savons la fragilité de notre univers et nous ne pouvons, comme l’écrit Dominique Bourg, « que nous en remettre à nous-mêmes pour le choix des normes et des valeurs que nous souhaitons donner à nos actions ». Nous connaissons le risque, sa double dimension spatiale et temporelle : l’espace, son impact – l’horizon des conséquences de nos actes qui s’éloigne, le climat chahuté, le régime des vents détourné, la surprise des inondations en France, en Pologne, en Sibérie – ; le temps, sa réalisation – cette accélération du constat de nos actes qui rend imminente la crise écologique – Three Mile Island, Tchernobyl, le Torrey Canyon, l’Erika, la déchirure de la couche d’ozone. Nous avons à nous défendre souvent du meilleur de nous-mêmes, de cet agir technologique dont parle Hans Jonas, du fait que désormais « le premier pas révèle notre liberté », mais que « nous sommes esclaves du second et de tous ceux qui suivent ». Ainsi se bâtit ce grand chantier de la responsabilité pour lequel il y a urgence, et pour lequel notre devoir est de recouvrer l’initiative, de fixer un nouvel ordonnancement de nos actes.

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Il n’y a pas d’arrière-pensée tactique. C’est une nouvelle exigence, une autre méthode, le choix d’une écologie humaniste qui se profilent. Ce n’est pas une question fermée. L’environnement a une vocation universaliste. La déclaration de l’Unesco à Yamoussoukro, sur la paix dans l’esprit des hommes, le 1er juillet 1989, souligne qu’un environnement de qualité est un élément essentiel de la paix.

C’est d’un grand basculement politique qu’il s’agit. Tout ici se résout dans l’action. Il n’y a pas de place, comme l’écrivait Marc Bloch, pour une « littérature du renoncement qui, bien avant la guerre, dénonçait les dangers de la machine et du progrès ». Il s’agit, comme le dit Jacques Chirac à Orléans, « d’inscrire une écologie humaniste au cœur de notre pacte républicain ». Il faut poser un texte, une charte. Par l’affirmation des principes, il faut bousculer de mauvaises habitudes, la paresse de l’action publique et inventer un nouveau droit, de nouvelles mœurs, des politiques entreprenantes. C’est ce point d’aboutissement qui est tout sauf simple, sur lequel viennent se cogner tant d’hésitations conceptuelles, qui fournit matière aux meilleurs esprits, de Luc Ferry à Michel Serres, pour ferrailler, et qui offre deux défis majeurs à notre démocratie : maîtriser les effets corrosifs de la technique et trop souvent du marché, lorsqu’il est évalué tel quel, et assurer les conditions de la justice et de nouvelles formes de division sociale.

Depuis plus de trente ans, l’environnement est entre les mains de spécialistes, parfois de technocrates d’un genre nouveau, dont le lexique se répète et qui nous laissent incertains sur ce que nous devons faire, et de juristes qui font par petites touches avancer le droit là où la prise de conscience collective fait des pas de géant.

Georges Pompidou, le 28 février 1970, à Chicago, déclarait : « L’emprise de l’homme sur la nature est devenue telle qu’elle comporte un risque de destruction de la nature elle-même. Il est frappant de constater qu’au moment où s’accumulent et se diffusent de plus en plus de biens dits de consommation, ce sont les biens élémentaires les plus nécessaires à la vie, comme l’air et l’eau, qui commencent à faire défaut. » La France, en avance, dénonçait le risque systémique.

Deux perspectives s’imposent : la finitude des ressources dont on n’imaginait pas la fragilité et une pression démographique mondiale considérable. C’est une donnée pour le XXIe siècle, les éléments incontournables d’une gestion indispensable des catastrophes. Deux spectres apparaissent : soit un « apartheid mondial », comme l’écrit Pierre Calame, « qui réserve aux populations riches des pays riches […] le droit de prélever sur le patrimoine commun de l’humanité », et le danger est ici politique ; soit l’extension de notre mode de développement à une population de plus en plus nombreuse, et les déséquilibres seront là écologiques.

Nous avons à trouver, vite, les mots pour un nouveau contrat, les actes qui formalisent la frontière du monde dans lequel nous vivons et qui constituent un devoir nouveau de vigilance écologique. Encore une fois, il faut un texte, une charte qui affirme les principes, qui conforte le droit à un environnement protégé et préservé, à partir de laquelle s’organise l’architecture d’une politique moderne, qui conjugue le développement et le respect de l’environnement, pour un vrai progrès.

Pourquoi une charte de l’environnement ?

L’écologie n’est pas une découverte. Changer les règles du jeu rencontre des réserves, des hésitations, de vraies oppositions sourdes, tues. Il y a les gesticulations, la prolifération des déclarations de bonnes intentions et maintenant, parce que tout cela est arrivé à maturation, il y a à faire preuve de détermination. Le sujet a déjà bénéficié de petites actions, à l’image de la TGAP, tango du gouvernement. De petites actions trop souvent détournées. Jamais il n’y a de plan d’ensemble. N’est-il pas regrettable que la nation de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’ait pas su rédiger un grand droit à l’environnement sain et équilibré pour chacun et ait masqué ses efforts dans l’éclatement du droit de l’environnement ?

Le droit à l’environnement est affirmé partout

Des droits étrangers mieux armés, des chartes constitutionnelles qui inscrivent l’environnement au titre d’ardente obligation… la démarche n’est pas considérée comme accessoire hors de France. L’article 24 de la Constitution grecque du 9 juin 1975, l’article 66 de la Constitution portugaise du 2 avril 1976, l’article 225 de la Constitution brésilienne du 5 octobre 1988 et, depuis, les révisions constitutionnelles en Allemagne et en Belgique en 1994, en Finlande en 1995 : ce sont dix États de l’Union européenne sur quinze qui donnent une valeur constitutionnelle à l’environnement.

La notion essaime à l’étranger, mais en droit français, le barrage est solide : la loi du 2 février 1995 recourt à des formulations internationales tirées de la charte de la nature de 1982 et de la déclaration de Rio de 1992, mais elles n’ont pas d’effet dans l’ordre juridique interne. On ne parvient pas à atteindre la valeur supralégislative pour quatre principes (précaution, prévention, pollueur-payeur, participation) qui doivent être organisés par des règlements auxquels renvoie la loi. La novation juridique, normative, se construit dans le champ du droit international et du droit européen.

Désormais, plus de trois cents traités multilatéraux concernent l’environnement, entièrement ou partiellement. À cela, il faut ajouter neuf cents traités bilatéraux. En deçà des traités, se multiplient les recommandations et directives (à l’OCDE, à la Commission économique des Nations unies pour l’Europe, au Conseil de l’Europe), les déclarations de principe (Stockholm en 1972, Rio en 1992…), les programmes d’action (cent neuf recommandations à Stockholm, le programme Action 21 à Rio) et la jurisprudence internationale. Ainsi la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît-elle clairement, dans son arrêt Lopez Ostra contre l’Espagne, le 9 décembre 1994, le droit à un environnement sain et oblige les États à prendre les mesures nécessaires pour assurer concrètement et efficacement le respect de ce droit. Ce contentieux est d’autant plus important qu’il reconnaît la qualité de victime de violation de la convention même à des victimes indirectes ou surtout potentielles. L’affaire Guerra va confirmer, le 29 juin 1996, le droit d’agir de requérants qui risquaient de subir un accident de pollution industrielle.

L’environnement dissémine juridiquement dans les accords connexes : l’accord de Marrakech d’avril 1994 intègre l’environnement dans les règles du commerce international, pour limiter le protectionnisme et l’écodumping, et crée un comité permanent « Commerce et environnement » ; l’Alena a été complété en 1993 par un accord additionnel sur l’environnement, qui donne à ce droit une place inhabituelle dans les traités internationaux. Ce maillage juridique s’est constitué en trente ans.

Dans l’Union européenne, il y a aujourd’hui plus de deux cents directives ou règlements sur l’eau, l’air, le sol, le bruit, les déchets et la nature. Mais il a fallu attendre l’entrée en vigueur, le 1er juillet 1987, de l’Acte unique pour que l’environnement soit expressément visé. Des dispositions figurent dans ce texte, dans le traité de Maastricht et le traité d’Amsterdam. Désormais, une politique spécifique pour l’environnement est instituée par les articles 174 à 176, qui fixent objectifs et actions à travers l’énoncé de trois principes : précaution et prévention ; pollueur-payeur ; correction à la source des atteintes à l’environnement. Les avancées pour asseoir le droit à un environnement pour chacun sont considérables. Le 18 décembre 2000, les États membres font paraître une proclamation solennelle sous forme de charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont l’article 37, relatif à la protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité, prévoit qu’« un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du développement durable ».

En dehors même de ces reculs, les avancées concrètes semblent particulièrement faibles pour un ministère dont le titulaire se situe, par rapport à ses prédécesseurs, dans un bien meilleur rapport de forces, comme on l’a indiqué.

Les causes de l’échec

Comment expliquer des résultats aussi modestes et aussi inattendus ?

Des explications de deux types peuvent être avancées : l’une est d’ordre technique, l’autre, d’ordre politique.

Insuffisance technique

Du point de vue technique, le titulaire du poste, à partir de juin 1997, et l’équipe qui le suit n’ont qu’une très faible expérience administrative et du pouvoir d’État. Une partie de cette équipe n’a aussi qu’une faible connaissance des questions d’environnement, au premier rang desquels le ministre lui-même, qui le reconnaît sans ambages 5 et demande, à plusieurs reprises, à changer de département ministériel. Ces problèmes de « casting » entraînent un très lent démarrage de l’équipe. La période de l’été 1997, qui correspond à l’état de grâce que connaît presque tout nouveau pouvoir, ne semble pas utilisée à bon escient. Beaucoup de dossiers prennent un retard qu’il sera difficile de rattraper. Ensuite, cette méconnaissance des dossiers et du fonctionnement administratif conduira, face à d’autres équipes ministérielles plus aguerries, à la perte de nombreux arbitrages interministériels. La composition de l’équipe, au sein de laquelle le « turn-over » est rapide, conduit aussi à une gestion beaucoup plus politique que technique des dossiers.

La loi engage un nouvel ordre juridique, sans toutefois prétendre pour ces principes à une portée constitutionnelle. Elle fonde une logique de responsabilité, mais se limite à des principes d’orientation. 1995 aura été une grande étape. Aucun texte depuis cette date ne participe de cette architecture indispensable des principes qui seuls peuvent définitivement fonder un droit à l’environnement.

Pour une charte

Jacques Chirac demande, à Orléans, que le droit à un environnement protégé et préservé soit considéré à l’égal des libertés publiques et que cet engagement soit inscrit par le Parlement dans une charte adossée à la Constitution. Il retient cinq principes :

1/ le principe de responsabilité, selon lequel la solidarité exige l’application de la règle pollueur-payeur, s’engageant dans une voie plus répressive ;

2/ le principe de précaution, recherché de façon plus systématique dans le fonctionnement des autorités indépendantes et dans le dialogue avec les pouvoirs publics et les organisations professionnelles ;

3/ le principe d’intégration, qui fait de l’écologie une dimension systématique pour chaque politique publique ;

4/ le principe de prévention, qui évite la réparation de dommages ;

5/ le principe de participation, qui, au-delà de la loi Barnier, permet au citoyen par le débat public, l’enquête publique, d’être associé aux décisions dans la transparence.

On retrouve dans ce texte fondateur l’élan pour « une morale de l’environnement », cette idée qu’il nous faut construire, instruire un droit nouveau qui soit « une sauvegarde de la maison des hommes ». Il renoue avec notre tradition, notre volonté d’équilibre et de respect « d’intérêts qui n’appartiennent à personne puisqu’ils sont ceux de la collectivité tout entière », et il rouvre le chantier de la charte de l’environnement qui avait été esquissé dans la loi du 10 juillet 1976.

La force de cette proposition est de s’inscrire dans le temps. Nous nous battons depuis trente ans pour la reconnaissance d’un droit élevé en un principe général du droit, qui ait valeur supralégislative, qui soit au-delà des lois comme une grande référence éthique, incontournable et effective.

La force de cette proposition est aussi de s’inscrire comme un impératif politique qui concerne « la cité planétaire tout entière », de poser la pierre qui manque dans l’édifice international et européen du droit à l’environnement.

Une charte de l’environnement, pour quoi faire ?

Jacques Chirac nous indique la direction : il faut s’engouffrer dans un mouvement qui doit donner à l’écologie ses lettres de noblesse. En 1997, nous aurions pu imaginer que tout allait être fait et qu’en 2002 nous aborderions la fabrication de notre projet défait par le bilan de la gauche. Non que rien n’ait été fait – ce serait mentir. Mais dire que tout a été réalisé, ce serait tromper. Il nous reste un chantier considérable. La charte est un point de départ, d’ancrage, pour une nouvelle écologie.

Pour une charte vivante

Chaque déclaration est suivie, pesée, marquée au coin d’un constat souvent désabusé. C’est pourquoi cette charte est tellement importante, pourquoi elle appelle d’autres textes constitutifs, pourquoi elle s’inscrit dans la mise en œuvre d’un modèle de développement durable.

Bien sûr, il faut éviter un texte sans contenu ou sans portée. Sur les principes, aller au-delà de la loi de 1995 et confirmer ce qui est édicté par les négociations internationales est le choix du bon sens. La notion de principe doit être entendue de façon extensive. Le droit à l’environnement est un droit vivant, dont les bases fondamentales doivent être flexibles, adaptables, anticipatrices. Il ne s’agit pas seulement de donner des compléments au cadre législatif existant, il faut aussi réinterpréter, « réinventer le droit commun », comme le fait remarquer Mireille Delmas-Marty. C’est pour cela que la liste des principes ne peut être exhaustive. Aux cinq principes exposés peuvent rapidement en être ajoutés deux nouveaux :

Un principe d’équilibre, qui ne s’apparente ni au principe de précaution, ni au principe de prévention. Il prévoit le respect des grands équilibres biologiques ; il inscrit notre patrimoine naturel dans le patrimoine commun de l’humanité ; il marque l’interdépendance de toutes les formes de vie ; il limite l’anthropocentrisme au grand dessein d’une vie commune à toutes les espèces ; il fait mentir la célèbre phrase de Lévi-Strauss : « Le monde a commencé sans l’homme et il s’achèvera sans lui ».

Un principe d’interpellation, qui permette d’aller bien au-delà du seul accès aux informations relatives à l’environnement ou d’une participation aux enjeux débattus dans l’espace public, au seul motif d’un lien écologique. Il permet d’aller au-delà du principe 23 de la charte mondiale de la nature du 28 octobre 1982, pour aborder les conditions de saisine des contestations qui naissent avec l’obligation du respect d’un droit à l’environnement. Ce dernier point est essentiel, c’est là que les principes avancés seront effectifs dans le futur, c’est là que se situent les dispositions d’accompagnement de la charte.

Mais, avant cela, la charte, dans son contenu, doit intégrer deux dimensions : l’idée d’un contrat naturel peut être explicitement évoquée, pour confirmer l’engagement de responsabilité de tous les acteurs jusqu’à l’État ; la correction des erreurs ne peut être non plus écartée, il n’y a pas pour l’environnement d’année zéro et la charte peut indiquer la nécessité de bâtir un programme de restitutions environnementales là où les déséquilibres sont les plus préjudiciables, là où les responsabilités sont suffisamment aisées à dénoncer.

La portée du texte n’est pas une fausse question. Les principes posés par la loi du 2 février 1995 ne pouvaient en aucune manière prétendre à une portée constitutionnelle (le Conseil constitutionnel n’a jamais eu l’occasion de se prononcer sur des principes généraux du droit s’appliquant à une loi relative à l’environnement). L’inscription politique de ces principes devient alors essentielle, indispensable. C’est là que la proposition de Jacques Chirac d’adosser cette charte à la Constitution est proprement révolutionnaire. C’est à une révolution fondamentale qu’il nous invite, une de ces révolutions tranquilles qui sont les seules acceptables dans le monde contemporain. Nous sommes seuls à pouvoir porter aujourd’hui ces changements qui dépassent les conformismes de gauche. Notre tradition et notre inscription dans la modernité font de nous les acteurs naturels du changement au début du XXIe siècle. Il ne s’agit pas d’inscrire le mot « environnement » dans le préambule de la Constitution de 1946, ni de se livrer à des formules interprétatives des textes existants.

Pourtant, cette alternative est déjà assez riche : le 10e alinéa du préambule de 1946 proclame que « la nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » (pour leur développement, ne faut-il pas que l’équilibre biologique soit garanti à long terme ?) ; l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 instruit que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (la dégradation de l’environnement n’est-elle pas nuisible à autrui ?) ; le 11e alinéa du préambule de 1946 prévoit que « la nation garantit à tous (…) la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et le loisir » (peut-on protéger la santé sans un environnement sain ?). On pourrait ainsi apposer sur chaque texte un « label environnemental », mais cela laisserait libre cours à l’interprétation du juge.

Non, il faut inscrire dans le droit positif de façon formelle, dans une charte explicite, dans le respect des textes qui fondent nos institutions, ce qui fait la vie aujourd’hui. Cette dimension nouvelle se conjugue avec toutes les autres, tout en étant créatrice de droits, de devoirs et d’obligations propres.

Le recours au référendum est indispensable. Il faudra que ce soit un de nos premiers actes après 2002. Une alternative classique s’offrira à nous : la réunion du Congrès et l’application de l’article 89 de la Constitution ou le recours à l’article 11 et l’affirmation d’un choix politique accepté par le corps électoral. Il est clair qu’il ne s’agit pas là d’un réaménagement institutionnel, mais de l’affirmation volontaire d’un droit moderne et nouveau. Seul le référendum ouvrira la voie à cette révolution tranquille.

Accompagner la charte

Il est indispensable de prévoir des instruments pour accompagner la charte : compléter et préciser le code de l’environnement, en particulier sur les questions de responsabilité ; créer une haute instance, un haut comité, lieu de confrontation des expertises et de conseils du gouvernement ; développer l’éducation à l’environnement dès l’école.

Nous avons à constituer une politique publique. Il faudra faire vite, afficher la charte et en décliner concrètement les propositions. La première étape est encore juridique. Très longtemps, l’absence de code de l’environnement « a favorisé le développement de ce droit sans principes », comme le fait justement remarquer le professeur Yves Jegouzo. Il faut donc fabriquer un code. Pourquoi un tel projet, alors que d’aucuns considèrent que « le droit de l’environnement est en passe de conquérir une meilleure visibilité, depuis l’adoption, le 21 septembre 2000, d’un code de l’environnement (…), formidable instrument de pouvoir pour le ministère (!) et ses relais que constituent les associations environnementales » ? Le code existe. Mais est-ce bien un code, ou plutôt le code, qu’il était nécessaire d’organiser, de bâtir, de réécrire ? « Il s’agit malheureusement d’une codification à droit constant, qui n’est qu’une compilation, alors qu’il aurait fallu oser une véritable codification législative innovante, intégrant le droit international et communautaire ». Propos d’expert puisqu’il s’agit de Michel Prieur.

L’ordonnance qui adopte le code compte neuf cent soixante-quinze articles. Cela ajoute à la complexité, sans qu’il y ait eu le moindre toilettage de texte, sans qu’il n’y soit apporté les précisions techniques élémentaires et nécessaires. Surtout, et c’est là que doit porter notre effort, il n’est pas fait le départ entre le champ de la responsabilité civile et celui de la responsabilité pénale, dont la réforme était un des axes évoqués par Michel Barnier. De même, la confusion est maintenue entre responsabilité pour faute et responsabilité sans faute, ce qui a des conséquences concrètes et financières. Le code doit fixer l’ordonnancement des contraintes : réglementation, incitation, fiscalité. Nous restons très en retard dans la recherche de la responsabilité du pollueur. La loi américaine autorise la poursuite de toute société qui a un lien avec un site contaminé. Elle l’oblige à la remise en état, qu’elle soit ou non à l’origine de la pollution. En France, cela est largement à la charge de la collectivité. Les enjeux sont conséquents, puisqu’un rapport de l’Académie des sciences de mars 2000 estime à deux cent mille le nombre des sites pollués aux hydrocarbures. La dépollution des sols pourrait représenter 50 à 70 milliards de francs.

Nous ne connaissons pas non plus de police de l’environnement. Il faut, là aussi, élaborer un droit et se doter des moyens humains et administratifs. L’environnement réclame un effort des acteurs économiques, une démarche volontaire des entreprises. Les pouvoirs publics doivent jouer de modules d’incitation. La certification environnementale est, dans cette acception moderne d’une politique de l’État, un moyen original et efficace. Jacques Maire, ancien directeur de cabinet de Dominique Voynet, fait remarquer qu’en cette matière, comme « sur la plupart des sujets, la France freine plus qu’elle n’accélère » : « À la fin 1997, on comptait sept cent quarante-cinq sites industriels éco-audités en Allemagne, trente-neuf au Royaume-Uni, seize aux Pays-Bas et onze en France ! De même, il y avait trois cent vingt sites ISO quatorze mille en Allemagne, quatre cent quarante au Royaume-Uni, deux cent trente aux Pays-Bas et soixante en France . »

Tout cela réclame clairement une politique environnementale plus incisive, qui fixe des objectifs, évalue les besoins et les moyens, mais qui, dans le même temps, soit ouverte à toutes les influences, s’inscrive dans notre époque, ne soit pas l’apanage de quelques hauts fonctionnaires dont on connaît le sens concret, ou de quelques hauts responsables associatifs dont on ne peut méconnaître les intérêts particuliers. C’est pourquoi l’accompagnement de la charte passe par la constitution d’une haute instance, attentive aux évolutions du droit, à l’écoute des demandes multiples et parfois contradictoires de nos concitoyens, qui ait une vocation multidisciplinaire et internationale et soit rattachée directement au Premier ministre. Ce serait un lieu de confrontation où siègeraient des scientifiques de renom, français, européens, internationaux ; des universitaires, tant il ne faut pas ignorer l’explicitation philosophique, sociologique, historique des phénomènes environnementaux ; des parlementaires – la proposition socialiste de 1993 de créer une délégation parlementaire est par trop fermée, réductrice ; des représentants des ONG, des associations représentatives, des syndicats… Il s’agirait d’un haut conseil consultatif : les textes législatifs et réglementaires ainsi que les circulaires interprétatives et adaptatives lui sont soumis ; il dispose des moyens techniques d’évaluation des décisions engagées et d’outils d’information et d’investigation ; il commande des études et des recherches et conseille le gouvernement ; il est présidé par le Premier ministre et sa vice-présidence est confiée à une personnalité choisie pour sa compétence, sa probité et son indépendance.

L’accompagnement de la charte passe par un effort tout particulier dans le champ de l’éducation et de la recherche. L’environnement est une pédagogie du quotidien. Elle est une illustration permanente de responsabilités partagées, un instrument de civilité. Des conseils environnementaux pourront être créés dans chaque académie, pour le montage de projets qui associeront enseignants et élèves et déclineront dans chaque établissement des chartes bâties avec les associations locales. La rédaction des programmes nationaux des disciplines (physique, histoire, philosophie, sciences de la vie et de la Terre…) intégrera la dimension environnementale. Le 5 juin, journée mondiale de l’environnement, sera dédié à ces questions dans toutes les écoles. Il sera créé une grande école de l’environnement – comme on a institué les Ponts et Chaussées ou l’École des mines quand cela était un impératif, il faut doter de toutes les compétences disciplinaires une formation de haut niveau. Dans chaque organisme de recherche (CNRS, IRD, Inra…) il y aura un département spécialisé dans l’environnement et entre eux sera configuré un réseau des acteurs de cette recherche.

Faire respecter les principes de la charte

Les principes doivent être effectifs, les règles de droit doivent être appliquées, les décisions juridictionnelles doivent avoir autorité de la chose jugée. À ce stade, les tribunaux administratifs auxquels les recours aboutissent statuent dans des délais trop longs et l’évaluation des préjudices des victimes est encore une exception.

La déception est telle que les Français se tournent de plus en plus souvent vers les instances européennes. On lit dans un rapport parlementaire sur les zonages en matière d’aménagement du territoire et d’environnement, qui paraît en 2001 : « Force est de constater que, faute de jurisprudences probantes de la part des tribunaux, le citoyen, les associations développent de plus en plus systématiquement le réflexe du recours à la CJCE. Il devient donc urgent de faire en sorte que la justice française ait une réelle capacité à entendre, à comprendre, à juger en connaissance de cause en matière d’environnement, comme elle sait le faire dans le domaine économique, par exemple. » Il y a donc là matière à innover.

En même temps, les disciplines doivent être acceptées par les acteurs économiques, les sujets de droit. Avant la contrainte, il y a la prise de conscience. Or, les cadres de référence ont explosé : chacun sait que les problèmes de l’environnement menacent les générations futures, que les actes présents peuvent modifier les grands équilibres qui favorisent la vie de demain, que ces risques sont cosmopolitiques, humanitaires, planétaires. Avec la contrainte, vient l’aménagement du droit.

Bien sûr, il faut effacer l’effet de sous-législation, de sous-judiciarisation. La question est avant tout celle de la compatibilité de l’écologie et de la démocratie. Ce point trouve sa résolution dans l’insertion du principe de responsabilité qui, comme l’a écrit Paul Ricœur, « demande seulement de préserver la condition d’existence de l’humanité ou, mieux, l’existence comme condition de possibilité de l’humanité » ; et il ajoute : « C’est l’homme en tant que vivant qui est l’objet de sa sollicitude. » En fait, Blandine Kriegel formule le creuset juridique dans lequel doit se lover le droit à l’environnement, en soulignant que « toute politique de l’environnement est une politique de la finitude et de la responsabilité. Elle ne peut se satisfaire d’être seulement une politique de l’individualité et de la décision. »

L’écologie fonde le partage des causes et des conséquences de l’acte incriminé et ne laisse à la sanction qu’une part minimale. Pénaliser outrageusement, c’est indiquer l’obstacle, accepter que l’on puisse le contourner. L’écologie n’est pas un jeu. C’est une nouvelle morale. L’écologie ne laisse que peu de place au temps et aux procédures. C’est un domaine où l’urgence est une exigence, comme le dit Jacques Chirac. Le requérant ne peut aller de-ci, de-là, se voir opposer des exceptions préjudicielles, hésiter entre une responsabilité civile – dont on reconnaît la portée dans la convention du 8 mars 1993 du Conseil de l’Europe, pour les dommages résultant d’activités dangereuses pour l’environnement – et une protection imposée par le droit pénal – posée par le Conseil de l’Europe, par sa convention du 4 novembre 1998. Le préjudice et la cessation immédiate du dommage ne sont pas concomitants. Il y a lieu de bâtir en cette matière une formule qui accepte cette gestion de l’urgence que les tribunaux traitent difficilement et qui permette aux parties de débattre et d’accepter une mutualisation des responsabilités. De plus, on ne peut ouvrir largement le droit de saisine juridictionnelle de tout requérant sans prendre en compte les effets du référé judiciaire.

C’est pourquoi il est indispensable d’insérer dans l’architecture judiciaire une instance d’avant dire droit, une instance arbitrale. La charte dégage des principes, des principes d’action que nul n’est censé ignorer. On ne peut accepter des stratégies d’évitement. Le contrôle de leur mise en œuvre doit être quotidien. La création d’une Cour nationale d’arbitrage de l’environnement est, à ce stade, l’instrument d’une mise en œuvre réelle de ce droit :

y siègent des représentants de l’entreprise, de l’administration de l’État et des collectivités locales, des associations spécialisées, des magistrats spécialisés – qui, de plus, instruisent les affaires dont ils sont saisis –, des universitaires experts ;

y sont intégrées systématiquement les avancées jurisprudentielles et normatives des juridictions et institutions de l’Union européenne, sans qu’il soit besoin que ce transfert soit normalisé, un simple constat suffisant ;

en son sein, chaque affaire fait l’objet de la réunion d’un panel, dont la composition varie selon les parties en cause et le caractère du dommage éventuel ;

les décisions qu’elle rend sont soit définitives – dans le cas d’un accord des parties, le marchandage juridique évite la procédure judiciaire –, soit soumises aux tribunaux judiciaires ou administratifs – dans ce cas, l’affaire est jugée en appel, il est constitué dans chaque cour d’appel une chambre spécialisée et les codes de procédure sont réformés pour que les délais des instances soient les plus brefs possibles ;

la liaison entre la cour arbitrale, les instances européennes et les systèmes de règlement de différends internationaux (à l’OMC puis à l’Organisation mondiale de l’environnement) fait l’objet d’une coopération et d’une assistance technique particulièrement denses et permanentes.

C’est, en vérité, un système global de règlement des différends, aux trois niveaux international, européen et national, qu’il faut construire. Les questions environnementales sont sans frontières. Les recours classiques aux tribunaux nationaux donnent trop de poids et d’incertitude à des décisions dans des espèces qui sont transfrontalières – les pollutions maritimes en sont le meilleur exemple. Ils s’effectuent selon des délais de procédure particulièrement longs et coûteux pour les parties. La conjonction d’un réseau de panélistes dont la vocation arbitrale est clairement définie permettra, de plus, de composer un droit à l’environnement qui sera unifié.

C’est un chantier complexe, qui suppose la création d’une Organisation mondiale de l’environnement. La mise en place du système de règlement des différends à l’OMC, en 1994, démontre désormais que la construction d’un espace juridique mondial sauvegarde les droits des particuliers et permet de donner corps au droit d’interpellation des ONG. L’emboîtement de trois niveaux de références arbitrales est très opérationnel, comme en témoigne la construction du droit de la concurrence.

Nathalie Kosciusko-Morizet

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